sexta-feira, 6 de dezembro de 2013

“Malandro” – derrière un petit mot, toute une culture

Un malandro et une morena devant les arcs de Lapa, quartier bohème de Rio. Toile d’Alexandre Freire. Source : http://alexandrefreire.files.wordpress.com/2008/01/ah-malandragem-ed-red.jpg
J’ai un peu parlé du mot malandro dans un texte de la semaine dernière*, mais il me semble que le sujet mérite des commentaires un peu plus détaillés. Comme je l’ai dit, ce terme est très difficile à traduire car il comporte des
connotations positives et négatives qui s’entremêlent d’une manière qu’on ne trouve dans aucun nom ou adjectif français. (Mais c’est justement pour ce genre de choses qu’on étudie des langues étrangères, non ?)

Cela se doit au fait que l’évolution des langues suit celle des sociétés qui les pratiquent, et le vocabulaire condense une partie de l’histoire de chaque pays. On m’a dit un jour que le vocabulaire de l’allemand était très précis. Ne parlant pas cette langue, je n’en sais rien, mais je peux affirmer que l’ambiguïté du mot malandro est très représentative de la culture brésilienne. J’essaierai d’expliquer pourquoi.

Commençons par les sens de malandro : ce terme peut désigner un débrouillard qui sait se tirer de façon astucieuse des pires emmerdes, un filou qui vend des châteaux en Espagne, un jouisseur qui sait éveiller des sourires pour se faire payer une bière ou plus si affinités, un bon-vivant qui n’aime pas le travail, un beau-parleur qui enchaîne des conquêtes amoureuses... (Il y a d’ailleurs l’expression péjorative mulher de malandro, la « femme de malandro », qui désigne celle qui est toujours prête à pardonner son amant, aussi infidèle ou violent soit-il.)

Il est aussi intéressant de penser à l’image du malandro prototypique qui habite l’imaginaire brésilien, notamment à Rio. Vous pouvez le voir dans l’illustration en haut : le malandro a une tenue élégante, en général un costume blanc et un chapeau (très souvent, il porte un T-shirt à rayures blanches et rouges), il a la tchatche, c'est un séducteur et un grand danseur, il est rigolo et vif d’esprit. Il évite le conflit et la confrontation directe, préférant la persuasion habile – mais est prêt à se défendre en cas de coup dur et a toujours sur soi un de ces rasoirs anciens qu’on appelle coupe-chou. Le construction de ce personnage remonte au début du XXème siècle, un temps où la "Lapa" n’était pas le haut lieu du tourisme qu'elle est aujourd'hui, un quartier parsemé de bars à samba accueillant locaux, gringos et bobos, mais un territoire de voleurs, de maquereaux et de prostituées.

C’est donc de ce contexte social et historique, de ce Brésil où l’ascension sociale par le travail honnête n’était qu’une mauvaise blague, que le sens du mot a évolué et continue de gagner de nouvelles dimensions au fil du temps. Et oui, la signification n’est pas quelque chose de figé, d’univoque, et il n’est pas rare qu’elle constitue l’objet d’une dispute entre différents groupes sociaux, chacun essayant de défendre ses conceptions ou de les imposer à l’ensemble de la société. C’est ainsi que le mot malandro prendra des acceptions différentes, selon qu’il sera employé par un évangéliste qui fait la morale à tout le monde, par un patron d’usine conservateur ou par un habitué des soirées de samba d’un quartier populaire.

Le mot malandragem, d’ailleurs, est tout aussi ambigu, riche et plurivoque : il désigne l’habileté du malandro, son style de vie (pour le meilleur comme pour le pire), le milieu des malandros ou bien le manque de sérieux au travail ou dans les études, par exemple. C’est également une façon dont certains malandros s’appellent entre eux.

Le contraire du malandro, comme je l’ai dit dans une occasion précédente*, c’est le otário ou le mané. Ces deux termes, synonymes, sont aussi riches de sens l’un que l’autre : un mané est donc une andouille, un type qui se fait berner par le malandro (et je pense que c’est presque toujours parce que le mané cherche à être un malandro et à obtenir des gains trop faciles), mais on emploie le même mot pour désigner un traître, un type grossier ou stupide ou alors quelqu’un dont la méchanceté nous dégoûte.

Pour certains secteurs réactionnaires de la haute classe moyenne – mais pas seulement –, le peuple Brésilien serait à la fois malandro (parce qu’il n’aimerait pas travailler) et otário (parce qu’il se laisserait embobiner par les hommes politiques). Personnellement, je ne cautionne pas ce genre de généralisation, d’autant plus qu’elle vient de gens qui n’ont jamais vraiment fréquenté les classes populaires, se contentant de ces stéréotypes qui les arrangent. En plus, on ne peut pas prendre au sérieux des individus qui n’ont dans leur immense majorité jamais eu à occuper des postes sous-payés et qui ont historiquement toujours bénéficié de l’exploitation des pauvres tout en disant que ceux-ci « n’aiment pas travailler ».

Pour conclure, la pratique conduit à penser que le Brésilien s’identifie plutôt au « bon » malandro, à sa facette de débrouillard souriant. Le malandro est aussi le roi du jeitinho – un autre mot-clé pour comprendre le Brésil. Mais j'ai déjà beaucoup trop écrit...


* Pour accéder au texte dont je parle, cliquez ici.

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