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Un malandro et une morena devant les arcs de Lapa, quartier bohème de Rio. Toile d’Alexandre Freire. Source : http://alexandrefreire.files.wordpress.com/2008/01/ah-malandragem-ed-red.jpg |
J’ai un peu parlé
du mot malandro dans un texte de la
semaine dernière*, mais il me semble que le sujet mérite des commentaires un
peu plus détaillés. Comme je l’ai dit, ce terme est très difficile à traduire
car il comporte des
connotations positives et négatives qui s’entremêlent d’une manière qu’on ne trouve dans aucun nom ou adjectif français. (Mais c’est justement pour ce genre de choses qu’on étudie des langues étrangères, non ?)
connotations positives et négatives qui s’entremêlent d’une manière qu’on ne trouve dans aucun nom ou adjectif français. (Mais c’est justement pour ce genre de choses qu’on étudie des langues étrangères, non ?)
Cela se doit au
fait que l’évolution des langues suit celle des sociétés qui les pratiquent, et
le vocabulaire condense une partie de l’histoire de chaque pays. On m’a dit un
jour que le vocabulaire de l’allemand était très précis. Ne parlant pas cette
langue, je n’en sais rien, mais je peux affirmer que l’ambiguïté du mot malandro est très représentative de la
culture brésilienne. J’essaierai d’expliquer pourquoi.
Commençons par
les sens de malandro : ce terme peut
désigner un débrouillard qui sait se tirer de façon astucieuse des pires
emmerdes, un filou qui vend des châteaux en Espagne, un jouisseur qui sait
éveiller des sourires pour se faire payer une bière ou plus si affinités, un
bon-vivant qui n’aime pas le travail, un beau-parleur qui enchaîne des conquêtes amoureuses... (Il y a
d’ailleurs l’expression péjorative mulher
de malandro, la « femme de malandro », qui désigne celle qui est
toujours prête à pardonner son amant, aussi infidèle ou violent soit-il.)
Il est aussi
intéressant de penser à l’image du malandro
prototypique qui habite l’imaginaire brésilien, notamment à Rio. Vous
pouvez le voir dans l’illustration en haut : le malandro a une tenue élégante, en général un costume blanc et un
chapeau (très souvent, il porte un T-shirt à rayures blanches et rouges), il a la
tchatche, c'est un séducteur et un grand danseur, il est rigolo et vif d’esprit. Il évite
le conflit et la confrontation directe, préférant la persuasion habile – mais est
prêt à se défendre en cas de coup dur et a toujours sur soi un de ces rasoirs
anciens qu’on appelle coupe-chou. Le construction de ce personnage remonte au début
du XXème siècle, un temps où la "Lapa" n’était pas le haut lieu du tourisme qu'elle est aujourd'hui, un quartier parsemé de bars à samba accueillant locaux, gringos et bobos, mais un territoire de voleurs, de
maquereaux et de prostituées.
C’est donc de ce
contexte social et historique, de ce Brésil où l’ascension sociale par le
travail honnête n’était qu’une mauvaise blague, que le
sens du mot a évolué et continue de gagner de nouvelles dimensions au fil du
temps. Et oui, la signification n’est pas quelque chose de figé, d’univoque, et
il n’est pas rare qu’elle constitue l’objet d’une dispute entre différents
groupes sociaux, chacun essayant de défendre ses conceptions ou de les imposer à
l’ensemble de la société. C’est ainsi que le mot malandro prendra des acceptions différentes, selon qu’il sera
employé par un évangéliste qui fait la morale à tout le monde, par un patron d’usine
conservateur ou par un habitué des soirées de samba d’un quartier populaire.
Le mot malandragem, d’ailleurs, est tout aussi
ambigu, riche et plurivoque : il désigne l’habileté du malandro, son style de vie (pour le meilleur comme pour le pire), le milieu des malandros ou bien le manque de sérieux au travail ou dans les études,
par exemple. C’est également une façon dont certains malandros s’appellent entre eux.
Le contraire du malandro, comme je l’ai dit dans une
occasion précédente*, c’est le otário
ou le mané. Ces deux termes,
synonymes, sont aussi riches de sens l’un que l’autre : un mané est donc une andouille, un type qui se fait berner par le malandro
(et je pense que c’est presque toujours parce que le mané cherche à être un malandro
et à obtenir des gains trop faciles), mais on emploie le même mot pour désigner
un traître, un type grossier ou stupide ou alors quelqu’un dont la méchanceté
nous dégoûte.
Pour certains
secteurs réactionnaires de la haute classe moyenne – mais pas seulement –, le peuple
Brésilien serait à la fois malandro (parce
qu’il n’aimerait pas travailler) et otário
(parce qu’il se laisserait embobiner par les hommes politiques). Personnellement, je ne cautionne
pas ce genre de généralisation, d’autant plus qu’elle vient de gens qui
n’ont jamais vraiment fréquenté les classes populaires, se contentant de ces stéréotypes qui les arrangent. En plus, on ne peut pas prendre au
sérieux des individus qui n’ont dans leur immense majorité jamais eu à occuper
des postes sous-payés et qui ont historiquement toujours bénéficié de l’exploitation
des pauvres tout en disant que ceux-ci « n’aiment pas travailler ».
Pour conclure, la
pratique conduit à penser que le Brésilien s’identifie plutôt au « bon »
malandro, à sa facette de
débrouillard souriant. Le malandro
est aussi le roi du jeitinho – un autre
mot-clé pour comprendre le Brésil. Mais j'ai déjà beaucoup trop écrit...
* Pour accéder au
texte dont je parle, cliquez ici.
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